Il y a 452 ans, en 1566 une révolte au nom peu flatteur marqua Seclin et ses environs. Pour en savoir un peu plus, nous vous invitons à découvrir la vie d’un seigneur local, celui de Hopelin-lez-Seclin (Houplin-Ancoisne) : Louis de la Trouillère.
Une stèle1 située dans le Chœur de l’église St Martin à Houplin-Ancoisne, le représente. Il est à genoux, les mains jointes en prière, revêtu de son armure. En dessous, une épitaphe mentionne ses faits d’armes. A droite et à gauche, toutes les armoiries seront malheureusement martelées lors de la période révolutionnaire.
Le contexte : le XVIe siècle et la Flandre "espagnole"
Découvrons sa vie, son parcours. Cet homme, aujourd’hui oublié, a connu de grands personnages, participé à des batailles qui ont bousculé la géopolitique du XVIe siècle. Pour comprendre qui il était, il faut changer notre vision franco-française de l’Histoire. Revenir à la situation de notre contrée : la Flandre. Elle est objet de litiges depuis des siècles et au cœur des tractations entre le Royaume de France et la couronne d’Espagne. Le célèbre Charles Quint (un flamand, car né à Gand) a récupéré ce Comté (comprenant une bonne partie de la région Nord et la Belgique actuelle), anciennement inscrit dans l’héritage de ses ancêtres les ducs de Bourgogne. En 1529, François Ier par le traité de Cambrai (dit de la « paix des Dames) renonçait à l’Artois et aux Flandres. Notre Comté entrant alors dans ce que Charles Quint dénommera « les 17 Provinces ».
Dans le même temps, la seigneurie d’Houplin (Hopelin) passe de mains en main. En quelques années des Landas à Guillaume Le Blancq qui l’a vendu en 1524 à Jacques de la TROUILLERE, époux d’Anne de Haynin (fille de François de Haynin et d’Antoinette Tenremonde) qui l’a transmise à son frère, Pierre, qui lui-même la donna à son fils, Jean, qui enfin la donna à son neveu, Louis de la Trouillère.
La Trouillère va participer aux dernières batailles liées aux velléités françaises en Italie, affaires politico-militaires qui occupent les souverains français depuis Charles VIII. Bien que dénommée guerre d’Italie, ce conflit se déroule parfois à des milliers de kilomètres, sur nos terres. Sans frontières naturelles infranchissables, la région est le terrain de jeu favori des états-majors pour sièges et batailles. La Trouillière d’après son épitaphe participe plusieurs d’entre-elles. Ces batailles oubliées de nos mémoires, rarement mentionnées dans le récit national, n’en ont pas moins changé le cours de l’Histoire.
La bataille de Renty (à côté de Saint-Omer), le 12 août 1554, est une victoire française sur les troupes du St Empire Germanique. Une paix est signée à Vaucelles en 1556, mais la reprise des hostilités de part et d’autre entraine un nouveau conflit qui éclate entre Henri II et Philippe II d’Espagne. Celui-ci débouche sur le siège de Saint Quentin. Malgré une défense héroïque des français, la ville capitule le 10 août 1557 après dix-sept jours et un feu intense d’artillerie, prélude aux guerres modernes. Le sort du Royaume de France aurait été bien différent si, exploitant à temps son succès, Philippe II avait marché sur Paris, alors sans défenses !
La bataille de Gravelines en juillet 1558 scellera le sort de cette longue guerre dite d’Italie. La France est défaite. Un homme des Flandres s’y est illustré à la tête de la cavalerie de l’armée de Philippe II, LAMORAL Comte d’Egmont. En lisant l’épitaphe de La Trouillère on retrouve les batailles et sièges précités et le fait qu’il était « lieutenant général commandant à mille chevaux légers ». On y précise qu’il était sous les ordres de l'un des ennemis politique du Comte d’Egmont : le seigneur de Noircarmes. Mais l'on verra plus loin qu’il y avait fort un dévouement de La Trouillère envers le Comte d’Egmont.
La révolte des Gueux
Au terme de cette guerre franco-espagnole, le roi d'Espagne Philippe II va être en prise avec une révolte / guerre dans les Pays-Bas alliant divers motifs, de l’économique au religieux. Les taxes, impôts, les reculs sur les libertés flamandes acquises depuis le Moyen Âge, à quoi s’ajoutent les idées protestantes vont vite envenimer la situation dans les Flandres.
Depuis son palais de l’Escurial (région de Madrid), Philippe II va se montrer intransigeant et missionner d’abord sa demi-sœur Marguerite de Parme.
Sur le terrain, certains princes comme Egmont tentent de concilier allégeance à Phillippe II et réalisme local. Rien n’y fait et la situation devient intenable, ainsi éclate en 1566 la
« révolte des gueux ». Ce nom peu flatteur fait référence au rejet, le 5 Avril 1566, d’une déclaration de 300 seigneurs des Pays-Bas flamands par la « gouvernante »
Marguerite de Parme. Son conseiller, Charles de Berlaymont les qualifie alors de « gueux ». Les rebelles reprennent vite à leur compte ce
terme lors d’un banquet à Bruxelles où certains nobles se vêtirent de gris, portant besace et écuelle à la manière de mendiants.
Les chroniques2 relatent une résistance locale des catholiques du Mélantois contre ces protestants.
Nous sommes à la mi-août 1566. Après bien des saccages, notamment à l’abbaye cistercienne de Loos-lez-Lille et de l’église de Fournes en Weppes, les protestants iconoclastes avaient choisi leur prochaine cible : Seclin. Bien que modeste, Seclin était réputée pour être le berceau du christianisme de la région de Lille et Tournai. L’église collégiale et le chapitre des chanoines dévoué à la dévotion de Saint Piat, l’attestaient depuis des siècles.
La rumeur confirma l’avancée des iconoclastes, qui avinés, prirent du retard, ce qui permit aux habitants de s’armer. Le tocsin sonna à Seclin, Houplin, Gondecourt, Emmerin… Sous la direction du seigneur de Seclin, François de Haynin, la population attendit patiemment les protestants, qui sans méfiance et sans organisation, furent mis en déroute par des tirs fournis de mousquets. Les ennemis furent repoussés vers les marais entre Seclin et la Deûle. L’histoire raconte qu’ils y furent massacrés jusqu’au dernier. Neuf cent hommes "noyés et assommés sans pitié". D’après des superstitions locales, le site de leur massacre fut appelé le « marais maudit ». Cet endroit, non loin de la ferme de la Pouillerie, n'a aujourd'hui de "marais" que le nom puisque cette zone fut totalement transformée par le percement du canal de Seclin.
Rien ne mentionne le rôle joué par La Trouillière. Il n’était certainement pas à Houplin en ce jour de 1566, puisque son rôle à l’époque était gouverneur et capitaine du château de Gand. C’est justement là, à Gand, que la grande Histoire va le rejoindre.
Philippe II réagit à ces graves troubles. Il envoie dans les Flandres un homme à poigne, le Duc d’Albe et 10 000 hommes, les fameux « tercios », des mercenaires sanguinaires. S’installant à Bruxelles, Albe instaure un climat de terreur (Le Conseil des Troubles) et fait arrêter des princes de haute valeur : les Comtes d’Egmont et de Hornes. Bien que catholiques et fidèles à la couronne, leur réalisme à la situation locale ne pouvait qu’exaspérer les ultras du parti catholique, l’Inquisition et leur meneur, le duc d’Albe.
« (…) Le duc d'Albe, qui avait déjà foulé aux pieds les privilèges de la Toison d'or, ne respecta pas davantage cette disposition constitutionnelle. Il décida donc que les deux prisonniers seraient conduits en Flandre et détenus au château de Gand. Il fit en conséquence enjoindre au comte d'Egmont, en sa qualité de gouverneur de la Flandre et de châtelain de la forteresse de Gand, de donner un ordre écrit pour que la Trouillère, son lieutenant, remît ce château entre les mains du mestre de camp Alonso de Ulloa, qui occupait la ville avec le régiment de Naples. La Trouillère, si dévoué au comte d'Egmont, se résigna, en voyant sa signature, et, le 13 septembre, Ulloa entra dans le château avec deux enseignes de soldats espagnols, qui y remplacèrent la garnison wallonne.(…) »3
Egmont et Hornes seront exécutés par décapitation le 5 Juin 1568 sur la Grand Place de Bruxelles.
Quant à notre Louis de Trouillière, il décède le 10 Novembre 1572. Si sa tombe semble perdue, sa stèle et son épitaphe sont une fois de plus la preuve que Seclin & Environs sont bien "au cœur de l’Histoire".
LE SAVIEZ-VOUS ?
Le buste d'un seigneur d'Houplin aux Beaux-Arts de Lille
Si vous vous baladez dans l'une des salles du Palais des Beaux-Arts, vous découvrirez ce buste et ce cartouche : "Retrouvé dans un puits à Houplin (Nord), ce buste figure un chevalier vêtu de son armure et de l'Ordre de Saint Jacques. L'oeuvre témoigne d'une influence de l'art de la Renaissance italienne : la tradition du buste antique, signe de pouvoir, est remise afin d'assurer la postérité du modèle."
L'inventaire A.50 précise qu'il s'agit d'une donation, avant 1911, de Géry Legrand, mais lors d'une séance de la Commission Historique du Département du Nord, en date du 4 Septembre 1841, Legrand mentionne la découverte "dans les fossés de l'ancien château" et que "ce buste, d'un beau travail, est maintenant la possession de M. Heddebaut, à Houplin".
Le faciès et l'armure semblent tendre pour une seconde figuration probable de Louis de la Trouillère.
Recherche et rédaction : Maxime CALIS - Guide-conférencier – Office de Tourisme Seclin & Environs
Sources.
1. Stèle classée à l’Inventaire des Monuments Historique le 24 Novembre 1906.
2. LEURIDAN, Théodore – Histoire de Seclin – chapitre 19 : Seclin sous la domination espagnole. – Livre d’Histoire-Lorisse – édition 2004.
3. JUSTE, Théodore – Le Comte d’Egmont et de d’Hornes – 1862 – Bruxelles – extrait de la page 306.