La famille Collette continue de marquer durablement la vie sociale et économique de la ville de Seclin. De par les mariages, les descendances, chaque génération va apporter à Seclin, succès et renommée. Le nom Collette sera au cours du siècle de la « Révolution industrielle » un synonyme d’innovations et d’inventions pour l’industrie sucrière régionale. L’histoire des Collette mérite bien le terme de saga.
Qui sont-ils ?
Leur histoire commence avec Jean-Baptiste Joseph Collette. Originaire du village de Lesquin, à dix kilomètres de Seclin, où il naquit le 12 février 1759, Jean-Baptiste est un fabricant d’huile mais travaille également comme artisan charron, il est spécialisé dans la fabrication des roues de chariots. De son union avec Marie-Anne Coustenoble, de deux ans son aîné, naquit un fils : Florent-Xavier. Ce premier seclinois de la lignée est né le 22 avril 1784. Il gravit l’échelle sociale en devenant notaire royal et même premier personnage de la ville à l’âge de soixante ans, soit de 1844 à sa mort le 20 février 1847. Le 10 février 1808, il épousait une Gondecourtoise : Catherine Lucie Dillies. Mariage fécond puisque six enfants verront le jour entre 1810 et 1824. C’est à partir de cette branche que la famille Collette va essaimer sur Seclin et ses environs.
Trois de ces enfants vont être à l’origine de la réussite industrielle des Collette, mais même leur fille Anaïs-Euphémie (1818-1897) ne peut être mise de côté ; son union en 1840 avec Jules-Louis De Lespaul (écuyer, garde du corps du roi Charles X et juge de paix à Seclin), donnera naissance à Noémie qui sera l’épouse du sous-préfet de Saint-Pol, maire de Fretin et propriétaire du château : Henri-Edouard Wastelier du Parc (1831-1909).
D’abord le second enfant du couple Collette-Dillies, premier garçon de la famille, Xavier Louis Désiré voit le jour le 19 juillet 1810. Notaire de profession, il s’orientera vers la politique. Il occupera les places de maire et de conseiller général du Nord. L’obtention de la Légion d’Honneur en 1866 couronnera sa carrière. Mais c’est son frère cadet, Auguste Alexandre, né le 20 août 1814, qui lance la famille dans la vie économique seclinoise en créant sa distillerie. Il sera imité par l’avant dernier enfant de la famille, Henri Hyacinthe Alexandre (27 février 1822).
Avant de passer à l’œuvre industrielle distillerie / sucrerie à laquelle les Collette ont laissé une trace indélébile, il faut également rendre un hommage à un jeune homme : Benjamin Hector Joseph Collette. Ce fils des Collette-Dillies s’illustra pour une machine à peigner la laine.
Né le 28 septembre 1829, Hector ne vécut que vingt-quatre années, mais elles furent suffisantes pour passer un diplôme d’ingénieur, déposer deux brevets d’invention en 1852 et se voir parer d’une médaille Première Classe lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855 dans la classe 7, celle du « matériel des manufactures de tissus ». Son travail fut salué par ces quelques mots flatteurs : « la composition des détails et leur exécution décèlent des connaissances particulières et un génie inventif. Les résultats obtenus paraissent avantageux au point de vue de la quantité de production ». Louanges qui malheureusement ne purent pense-t-on réconforter une famille ayant perdu « le génie » à cinq heures du matin, le 11 mai 1854, au sein de la maison familiale située alors au n°30 rue des Wetz.
Les Collette et le "sucre indigène"
Les Collette se lancent dans la fabrication de sucre, dit « sucre indigène », à partir de la betterave. Afin de comprendre cette industrie, il faut revenir quelques années auparavant.
Le sucre, devenu depuis le XVIIIe siècle un aliment de première nécessité, était issu de la canne à sucre. Sa fabrication et son importation restaient pourtant limitées et coûteuses. On chercha alors des dérivatifs et se fut un chimiste prussien du nom de Andreas Sigismund Marggraf (1709-1782) qui ouvrit la voie en 1745 en publiant ses Recherche sur la présence de sucre dans diverses racines et notamment la betterave. Frédéric-Charles Achard (1753-1821) poursuivit cette étude avec le soutien actif de l’empereur Frédéric II de Prusse. Ainsi ce furent les Allemands et non les Français qui étudièrent en premier les qualités sucrières de la betterave. Au l’aube du XIXe siècle, une telle découverte ne pouvait qu’intéresser les Français, et en premier lieu, Napoléon Ier. Les Anglais avaient la maîtrise des mers, nous coupant ainsi de nos colonies antillaises et par voie de conséquence du sucre de canne. L’Empereur se lança alors dans la bataille de la betterave à sucre juste après avoir eu la preuve de la cristallisation du sucre issu de la betterave par Benjamin Delessert. En 1812, il ordonna la culture de 100 000 arpents de terre en betteraves, créa des écoles de fabrication et exempta d’impôt pour quatre ans tout industriel ayant réussi à obtenir 10 000 kilogrammes de sucre ou ayant perfectionné la fabrication.
A ses débuts la coloration des jus restaient noirâtres et visqueux. La découverte des propriétés décolorantes du charbon animal eu pour effet immédiat d’augmenter la production et d’abaisser le prix de vente. Cette nouvelle industrie fut un temps stoppée dans son élan par la chute de l’Empire et la réouverture des voies commerciales transatlantiques, mais les sucreries reprirent de l’aplomb, en 1828 il y avait 585 fabriques dans 44 départements. Les lobbyistes des planteurs ou commerçants du Havre ou de Bordeaux ne purent empêcher cet essor sucrier, malgré tous leurs efforts.
Les innovations se succédaient à l’image de ce lévigateur inventé par M. Jules Pelletan. Cette machine « était une vis d’Archimède inclinée, qui recevait la pulpe à sa partie inférieure, et la lavait au moyen d’un filet d’eau venant du côté opposé. L’appareil nécessitait très peu de main d’œuvre. La vis, avec ses vingt-quatre éléments, ou chambres, plongeait dans un tambour de tôle. Les éléments communiquaient entre eux, de manière que le liquide passant de l’un à l’autre se chargeait progressivement de plus en plus de principes solubles depuis la première chambre jusqu’à la dernière, tandis que la pulpe épuisait se rendait à l’extrémité supérieure de la colonne »1.
La sucrerie Collette de Seclin fut l’une des premières à utiliser ce procédé. Comparativement à l’ancien système où l’on faisait usage de presses hydrauliques pour extraire le suc avec une exploitation maximale de 25 000 kilogrammes de betteraves par jour et l’emploi de quatorze ouvriers, le lévigateur permettait de meilleurs rendements avec 25% de jus en plus.
Auguste Alexandre Collette publia une lettre dans le périodique La Presse vantant les mérites de la machine : « J’ai employé le premier le lévigateur dans ma fabrique de Seclin, j’en ai fait un usage exclusif pendant toute l’exploitation qui a été environ de 3 000 000 de betteraves ; cette fabrique marchait pour la première année. L’appareil a constamment répondu à un travail de 50 000 betteraves par jour. Les jus ont toujours été presque sans couleur ; les sucres ont été aussi beaux à la fin de la saison qu’au commencement ; ma consommation de noir a été moindre que celle de tous les autres fabricants. Je n’ai pas brûlé plus de 50 hectolitres de charbon pour 50 000 betteraves avec une machine de dix chevaux. Cet appareil fonctionnait avec un seul homme ; j’y ai trouvé l’économie de douze ouvriers de jour et de nuit, et celle de sacs et calies que mes confrères évaluent à 5 000 francs par année ; ma fabrique a marché toute la saison avec seize ouvriers »2.
La publicité faite par M. Auguste Alexandre Collette a produit un effet quasi immédiat car dans le même journal, moins d’un an plus tard, on cite d’autres établissements utilisant le lévigateur en Seine-Inférieure, dans l’Aisne, la Seine, l’Indre-et-Loire, la Drôme et même au-delà des frontières en Belgique et Allemagne. On note donc que dès la création de la sucrerie, les Collette savent apprécier et reconnaître les innovations techniques dans le but de développer à meilleur profit leur établissement.
En 1837, M. Collette signale qu’il emploi seize ouvriers. Dix ans plus tard, la sucrerie a 80 salariés, dont 50 hommes, 25 femmes et 5 enfants. La valeur annuelle des produits fabriqués est de 95 835 francs. Au regard des deux autres sucreries seclinoises de l’époque, celle des Duriez-Lhermitte et celle des Desmazières, les Collette ont l’établissement le plus important3 et fonctionne à l’aide machines à vapeur4.
Avant de revenir à l’histoire de cette entreprise familiale, il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur le rythme de vie et de labeur dans une sucrerie du XIXe siècle. L’employé a de fait deux périodes bien distinctes dans l’année : le travail agricole du printemps à la fin de l’été et le travail manufacturier à l’automne et l’hiver. Les « sucreries indigènes » se trouvant particulièrement à la campagne, il n’est pas rare de voir des familles entières, les parents et les enfants, travaillant dans la même entreprise. Généralement l’embauche se fait sans livret de travail, le personnel habitant la commune ou les environs.
Le travail agricole commence à l’automne par la préparation du sol grâce à des labours profonds et homogènes. La plante peut ainsi se développer tant pour son poids que pour sa quantité de sucre. Vient ensuite l’amendement et la mise de l’engrais, du fumier. Après une période de repos, l’ensemencement commence à la fin du mois de mars. Les champs sont régulièrement binés dès que les betteraves commencent à lever. Celles-ci sont ensuite placées par douzaine au mètre carré et démariées. Enfin, il est temps de passer à l’arrachage.
Là encore, nous trouvons un article signé par Auguste Collette louant les vertus d’un Arrache-betteraves inventé par un agriculteur de Templeuve (à 13 kilomètres de Seclin), M. P. Olivier-Lecq. « Mon opinion sur cet instrument est tout en sa faveur ; son avantage principal est de pouvoir faire le travail quand on veut et comme on le veut, sans être à la merci des ouvriers aux pièces. Comme arrachage, le travail est supérieur à celui fait à la main, et maintenant que beaucoup de mes champs sont labourés, on reconnaît très facilement ceux qui ont été arrachés à la machine et ceux arrachés à la main. (…) Cet outil rendra de grands services à ceux qui cultivent la bonne betterave à sucre, qui est toujours d’un arrachage difficile à la main (…) »5.
A mots couverts, Auguste Collette avoue qu’il y trouve surtout un intérêt financier, puisqu’un ouvrier arrachant à la main (c'est-à-dire avec une bêche spéciale) lui coûte 55 francs à l’hectare contre seulement 30 francs avec la machine. Pour l’ouvrier agricole le paiement se fait à l’hectare. Son salaire varie également avec sa tâche lors de la période de fabrication. Pour le travailleur déchargeant les betteraves, le paiement se paie à la tonne, alors que celui qui s’occupe des machines est payé à l’hectolitre de jus produit dans les douze heures. Les statistiques montrent qu’un dépit de l’introduction de machines agricoles, les salaires ont fortement augmenté dans cette industrie. Au début des années 1850, un ouvrier homme chez Collette gagnait 1.25 francs, une femme 0.75 et un enfant 0.60. Trente ans plus tard, le salaire est de 4 à 5 francs pour les hommes et de 1.50 à 2 francs pour femmes et enfants. La journée commence à six heures du matin, deux heures plus tard c’est la pause-déjeuner d’une demi-heure. Le repas est pris en une heure à midi. Le travail s’achève à six heures du soir6.
Collette, famille d'inventeurs !
Auguste-Alexandre Collette se marie avec Henriette Valois (1825 – 1892). Devenu un notable grâce à son affaire, il monte à la capitale en 1867 lors de l’Exposition Universelle. Peut être voyage t-il en compagnie d'un tout nouveau venu dans l'industrie Seclinoise, le filateur Claude Guillemaud ?
Auguste Collette sera maire de la ville de 1873 à 1878 et décédera à 85 ans le 14 mars 1900. Son expérience professionnelle lui donne l’occasion de perfectionner son outil de travail comme en atteste les nombreux brevets d’invention déposés dont celui du 26 juillet 1865, pour une « presse débourbeuse continue », un appareil pressant les écumes.
Mais c’est surtout le brevet en date du 4 février 1863 qui va passer à la postérité. En atteste, son nom : « système Collette ». Ce procédé d’extraction du jus de betterave par un système de presses continues va révolutionner cette industrie. La méthode originale par macération était longue (six à huit heures) et coûteuse. « Cette machine permet d’obtenir des résultats très remarquables, en épuisant d’une façon absolue, la partie sucrée contenues dans la betterave, à l’aide d’une macération à la vinasse chaude entre deux pressions énergiques. Par les procédés ordinaires, les cossettes de betteraves restent six à huit heures à macérer, tandis que par la presse Collette l’extraction des jus prend à peine dix minutes. Cette rapidité de travail procure des fermentations supérieures et un rendement alcoolique plus élevé… »7.
Collette améliore sans cesse sa machine. Le 10 février 1873, le brevet n°97887 rajoute une pompe rotative à l’introduction de la pulpe. Le 19 mars 1881, le brevet 141.808 perfectionne la construction des filtres presses, dans le but d’en diminuer le prix de construction. Pourtant, le système Collette attendra une quinzaine d’années avant d’être réellement utilisé dans les distilleries. En 1909, vingt distilleries à betteraves dans la région Nord-Pas-de-Calais et quatre autres dans le pays en sont équipées.
En 1892, lors d’une exposition sur les alcools au Champ de Mars, un nouvel appareil inventé par
Auguste-Alexandre et René Collette retient lui aussi l’attention. Il s’agit d’un acidimètre électrique capable de déterminer l’acidité dans les boissons fermentées. Là encore, la créativité et
l’intérêt pour les professionnels de fabrication d’alcools trouvent un écho favorable8.
Un nom vient d'être cité : René Collette. Cette autre branche a elle aussi connu et développée l'industrie mais dans un village tout proche de Seclin : Allennes-les-Marais. Pour en savoir plus, suivez le prochain chapitre de la "saga des Collette" !
Recherche et rédaction : Maxime Calis - guide-conférencier - Office de Tourisme Seclin & Environs ©
Bibliographie
Danièle LEROUGE : L'industrie à Seclin : des balbutiements au début du 20e siècle - 2014
Notes
1. FIGUIER, Louis – Les Merveilles de l’Industrie – Paris – Librairie Fume – Jouvet et Cie Editeurs – page 103
2. La Presse – n°75 – 13 septembre 1837
3. Statistique de la France – Paris – Imprimerie Royale – 1847-1852 – Tome 1
4. BOTTIN, Sébastien – Statistique annuelle de l’Industrie – 1842 – Paris
5. DUREAU, Georges – Traité de la culture de la betterave à sucre – 2e édition – Paris – 1886 – pages 362-363.
6. RENOUARD, Alfred et MOY, L – Les institutions ouvrières et sociales du département du Nord – page 53 à 56 – chapitre VI – Rémunération du travail dans l’industrie de la sucrerie indigène – Lille – Imprimerie L. Danel - 1889
7. HUARD, Charles-Lucien – Le Monde Industriel – Edition L. Boulanger – Paris – 1884 – page 1170.
8. FREDUREAU, F – Annales Industrielles – 24e année – 1892 – tome 2 – article pages 556 à 559