Seclin 1914-1918 : l'aviation dans notre coin

On n’arrête pas le progrès. Bien qu’absente sur l’affiche de mobilisation générale d’Août 1914, l’aviation militaire va prendre une place rapide et spécifique dans l’histoire du conflit. Mention notable pour une technologie qui n’avait alors pas plus d’une dizaine d’années d’existence. Le 17 Décembre 1903, les frères Wright réussissent leur premier vol. Le 25 Juillet 1909, Louis Blériot traverse la Manche. Le 5 Octobre 1914, un premier combat aérien se termine par le mitraillage victorieux de Louis Quenault sur un Aviatik allemand1. A partir de ce jour, l’art de la guerre allait conquérir les cieux.

 

Cet article poursuit la fructueuse collaboration entre l'Office de Tourisme et M. Jean Stéphane Hennion. Tous les documents de sa propriété (©tousdroitsréservés), souvent des pièces uniques de collection, ne peuvent être reproduits ou partagés sans qu'il y ait eu autorisation préalable de notre part.

En 1914, l’armée française n’est pas prise au dépourvu et fait même office de précurseur : dès 1909 l’aéronautique militaire est intégrée au côté de l’aérostation (ballons). En hommage à Clément Ader, Le général Pierre-Auguste Roques baptise du nom « d’avion » ce que l’on appelle encore aéroplane. A l’entrée en guerre, la France comptabilise 148 appareils. Du côté des autres belligérants c’est en 1910 que se créée la Luftstreitkräfte et en 1912, le Royal Flying Corps des Britanniques.

 

Les Seclinois assistent dès le 30 Octobre 1914 à un premier combat aérien remporté par un anglais. Leur joie manifeste dans les rues est vite réprimée par l’occupant.

 

Bien qu’à l’abri des offensives sur le front, la ville de Seclin sera, tout au long des quatre années, survolée par une multitude d’avions et témoin de combats. Edouard Richard en comptabilise personnellement vingt-deux, 13 allemands tués contre 9 anglais. Avec ces nouvelles armes apparaissent les premiers bombardements aériens, ils toucheront notre ville. Le 10 Mai 1915, Henri Guilluy sera la première victime civile. Il est tué dans son jardin route de Wattiessart. On cherche à s'abriter. La discrète peinture "Keller" (cave) au n°20 rue Jaurès en témoigne.

Ne prétendant pas à l’exhaustivité absolue de cette thématique, passons en revue quelques biographies et faits liés à cet arme tant du côté allié qu’allemand dans notre secteur.

Les aérodromes allemands du secteur

Inscription allemande, n°93 rue Nationale à Gondecourt - "Fliegerdeckung" = abris contre les avions / logement pour aviateurs
Inscription allemande, n°93 rue Nationale à Gondecourt - "Fliegerdeckung" = abris contre les avions / logement pour aviateurs

Côté allemand, l’aviation est dans un premier temps vue avec un certain dédain. Seul Ludendorff la pense comme une arme quand les autres n’y voient qu’un moyen de renseignement. En 1914, les 128 hommes et 15 officiers volent sur une soixantaine d’appareils, souvent des copies de brevets d’avions français. Pendant le conflit, les allemands produiront 47 000 appareils basés sur un millier de modèles différents, mais seuls 5 000 seront en état de vol le 11 Novembre 19182.

 

A la différence des autres armées, les Allemands ne séparent pas l’aviation de l’infanterie. De fait, trouve-t-on cette composition dans chaque armée : une « Troupe  de dirigeables » (Luftschifftrupp), des  « Troupes aériennes » (Fliegertruppen), un  « Détachement d’aviation de forteresse » (Festungs-Flieger-Abteilung), un  « Parc de dépôts d’avions » (Etappen-Flugzeugpark) et un  « Détachement d’aviation de complément » (Flieger-Ersatz-Abteilung)3.

 

L’association Ancien aérodrome a établi un recensement des terrains d’aviation dans la région. Résultat : 220 dont 172 pour les allemands4 ! Rien qu’autour de Seclin, la 6e Armée va multiplier les petites unités aériennes : Houplin (La Pouillerie), Phalempin (les Epinchelles), Gondecourt (vers Carnin), Attiches, Tourmignies, Ennetières-lez-Avelin, Ronchin. Tous ceux-ci faisant partie d’un cercle concentrique de défense de Lille… je vous conseille la carte de localisation géo-portail réalisée par l’association.

 

Et à Seclin, où était-il ? A l’époque, on le signale aux abords des ruines du dernier moulin, celui que les locaux surnomment « Minzeeghe » par déformation du nom d’un de ses anciens propriétaires, M. Mazingue. Ce moulin fut arrêté en 1912, il était la propriété de Charles Heddebaut, le dernier meunier de Seclin. Plus concrètement, cet aérodrome se trouvait entre le Fort et la route menant à Templemars-Vendeville. Un autre, très éphémère, fut installé à la Mouchonnière à la fin de l’été 1915. Il fut vite abandonné à cause de bombardements, sa position fut signalée par Me Marquilly de Wingles, membre du réseau d’espionnage monté par Louise de Bettignies4

Dans l'état actuel de nos connaissances, nous pouvons indiquer que l'aérodrome du Fort fut celui de l'escadrille prussienne Jagdstaffel (Jasta) 43 entre le 22 août et le 8 octobre 1918 et que, très brièvement en mai 1918, y fut stationnée la FAA292B.

 

Si nous n'avons aucune photographie formellement prise devant le Fort dans son état d'aérodrome, Jean Stéphane a, une fois de plus, déniché un précieux document. Sur le verso de cette photographie, on peut y lire : "Les adieux du capitaine Prestele au capitaine Hailer, Seclin été 1918". Si le lieu exact reste pour l'instant non reconnu, nous pensons avoir ici les soldats du Fliegerabteilung 292 B.

Toute reproduction, copie, recadrage de ce document unique sans notre  autorisation est formellement interdit. Tous droits réservés©

Les aviateurs français et alliés

Article tiré de l'hebdomadaire "Les Ailes" 1er Décembre 1921
Article tiré de l'hebdomadaire "Les Ailes" 1er Décembre 1921

Si l’on demande à un.e français.e de donner le nom d’un aviateur de la Grande Guerre, il y a de forte chance qu’il cite le nom de Georges Guynemer. Si il habite Valenciennes ce sera très certainement Charles Nungesser… deux pilotes devenus des « as » après cinq victoires homologuées par les autorités militaires suite à des témoignages directs.

 

Bien d’autres ont accompli des victoires mais n’ont pas la même notoriété à postériori, même très localement à l'image du Lieutenant Gaston Damelincourt.

Ce natif de Camphin-en-Carembault n'est honoré de nulle rue ou bâtiment communal portant son nom ; seule reste sa sobre sépulture à l'ombre des superbes murs en rouge-barre de l'église Saint Médard.

Né le 25 Juin 1892, Damelincourt était cuirassier au début de la guerre, puis versera dans l’aviation. Pilote à la 110 de Juin à Juillet 1915 à l’escadrille des Bombardiers de la F110, puis dans l’escadrille 7, il commande en 1918 l'escadrille 291. Ces faits d’armes lui vaudront d’être Chevalier de la légion d'honneur, Croix de Guerre Français et Belge, Chevalier de la couronne de Belgique. Il sera recyclera dans les meetings aériens et décèdera dans un accident en participant à la Coupe Michelin, le 19 Novembre 1921.  

 

 

Le silence mémoriel n'est bien évidemment pas de mise pour l'as Britannique Albert Ball. Avec ses 43 victoires, il est l'une des grandes figures l'histoire de la guerre aérienne côté Britannique même si d'autres compatriotes le battent en nombre de victoires. C'est le cas de l'Irlandais Edward Corringham "Mick" Mannock avec 61 victoires. Sa réputation de meilleur pilote de la guerre n'est pas usurpée. Faut-il croire que toutes ses victoires sont le fait d'un handicap : Mannock était borgne et portait un oeil de verre !

Alors un vaste empire colonial, le Royaume-Uni aura dans ses rangs des Indiens. Leur très beau mémorial sur la D947 à hauteur de Neuve-Chapelle est assez connu, mais saviez-vous qu"un "as" Indien prénommé Indra Lal Roy est inhumé non loin de Seclin, à Estevelles ?

 

Le sujet est intarissable et bien des ouvrages ou magazines peuvent compléter cette histoire des aviateurs alliés. Penchons nous maintenant sur leurs adversaires. 

Les aviateurs allemands

Commençons par deux pilotes allemands victimes de l'as Mannock. Bien que descendus au-dessus de Merville le 3 Mai 1918, ils sont aujourd'hui encore enterrés de part et d'autre d'une même croix au sein du cimetière militaire de Seclin.

Grâce à Jean Stéphane Hennion, voici le très brièvement pilote conducteur Fritz Anton Schöning et son pilote observateur, le lieutenant de réserve Fritz Beuttler devant leur appareil.

 

D'autres aviateurs allemands les côtoient. Jean Stéphane a recensé ceux-ci : le 5 Mars 1918, le pilote Gramlich Freidrich  de la FA A 258 (BL 2 GR 83). Le 17 Mars 1918, le pilote Otto shulz de la Jasta 20 meurt lors d'un vol d'essai vers Douais (BL 2 GR 70). Le 29 Avril 1918, le pilote Kauflin Alfred de la Jasta 35 meurt au combat à Houplin-Ancoisne (BL 6 GR 140) avec le Flugzeugführer  Top Robert de la Jasta 35 (BL 6 GR 149). Le 16 Mai 1918, le pilote Hild Johannes FA 7 mort au combat à Seclin (BL 5 GB 23). Le 29 Juillet 1918, le pilote Heinrich Menges, mort au combat à Seclin (BL 6 BR 182) mais aussi le pilote Bloching Wentur  de la Jasta 35 (BL 6 GR 192). Le 18 Septembre 1918, le pilote Stucker Ernst FA 7 (BL 5 GR 114), lieu de décès  inconnu. Le 30 Septembre 1918 est abattu le luftschiffer (ballon dirigeable) de Reinert Nikolaus (BL 6 GR 176) au sud de Seclin.


Le crash d'un avion allemand dans le canal,

localisation non précise entre Seclin et Houplin.

Les 3 photos sont soumises à des droits réservés©, toute copie, reproduction, même partielle, sans autorisation préalable sont interdites


Dans ce petit jeu du chat et de la souris, l'ultime combat dans les cieux d'Albert Ball l'opposa le 7 Mai 1917 à Lothar von Richthofen. Ce nom vous dit quelque chose ?

Normal, il s'agit du petit frère du célèbre "Baron Rouge", Manfred von Richthofen... et devinez quoi, nous disposons d'un cliché de ces deux illustres pilotes pris à l'Hôpital de Seclin (reproduction / copie interdite sans autorisation) !  

Le 13 Mai 1917, un tir de DCA abat l'avion de Lothar, il en sort blessé et souffre de sa hanche gauche. Il sera d'abord soigné et en convalescence à l'Hôpital de Seclin avant d'aller se remettre d'aplomb  à Hambourg. Le cliché serait pris le 15 Juin 1917, les deux pilotes posent aux côtés de leur père, le major Albrecht Philipp Karl Julius Freiherr von Richthofen alors en poste de commandant à Linselles.

 

Notre cliché est donc pris deux mois après cette célèbre photographie de l'escadrille Jasta 11 au moment du "Bloody April" (11 au 29 Avril 1917) 6. Les Anglais eurent à subir une terrible défaite, la Jasta 11 leur infligea une perte de 96 appareils dont 52 rien que de la part du "Baron Rouge". Cette fine équipe pris le surnom de Fliegender Zirkus (Cirque aérien) et trouva une seconde notoriété en 1969 lorsque le groupe de hard-rock Led Zeppelin retoucha la photographie pour orner son deuxième opus !

En parlant de dirigeable et pour terminer cet article, voici un petit fait-divers d'avant guerre : un ballon allemand qui s'échoua dans la campagne Seclinoise au niveau de Martinsart en Septembre 1913.


Recherche et rédaction - M. CALIS Maxime© - guide conférencier OT Seclin & Environs - Février 2018

Remerciement appuyé à mon ami Jean-Stéphane pour ses incroyables documents, ses connaissances et la confiance renouvelée pour le projet "Seclin 1914-1918 : une ville derrière les tranchées allemandes".


Notes et sources :

bibliographie : "Seclin 1914-1918 : histoire d'une occupation" - Société Historique Seclin - 2007

Anciens Aérodromes - "Atlas Nord : terrains d'aviation militaires Première Guerre Mondiale" - Septembre 2017.

 

1.        https://francearchives.fr/commemo/recueil-2014/39455

 

  2.       Le 11 Novembre, la France possède 3 427 avions et a formé 6 400 pilotes. 200 000 personnes travaillent alors dans l'industrie aéronautique. Les Anglais disposent eux de 1 800 avions et les Américains de 700. 

 

3.        http://fandavion.free.fr/aviation_allemande.htm

 

4.        https://www.aerobuzz.fr/breves-culture-aero/220-terrains-daviation-militaires-recenses-nord-14-18/

 

5.        Hélène d’Argoeuves – Louise de Bettignies – Ed. La Colombe, Paris – 1956.

 

6.       Ce "Bloody April" se tient dans la phase de reconnaissance des Britanniques pour la future Bataille d'Arras. Bien que supérieure numériquement (754 avions Britanniques contre 264 pour les Allemands, dont 385 monoplaces alliés contre 114), la défaite est bien celle des Britanniques car leurs avions techniquement ne valaient pas ceux des Allemands (Albatros DIII).