Tout le monde a chantonné dans son enfance la comptine « Malbrough s’en va en guerre » sans trop maintenant savoir à quel personnage et quel épisode historique elle faisait référence.
Malbrought ou Malborough était un duc anglais, connu aussi sous le nom de John Churchill, ce qui en fait un ancêtre du célèbre Premier Ministre britannique, Winston Churchill.
Ce duc de Malborough fut l’un des grands militaires de la fin du 17e, début 18e siècle, et il mena de brillantes batailles face aux Français lors de la Guerre de Succession d’Espagne. Derrière guerre perdue par un Louis XIV vieillissant et loin du faste affichée des victoires d’antan, telle la prise de Lille en 1667.
Entamée en 1702, cette guerre s’éternise et tourne aux désavantages de l’armée royale de Louis XIV battue à Audenarde le 11 Juillet 1708. Suite à ce désastre, les anglais et leurs alliés décident prudemment d’affaiblir la France en entamant le siège de la citadelle de Lille, œuvre magistrale de Vauban. On connait l’adage « ville défendue par Vauban, ville gardée, ville assiégée par Vauban, ville conquise», mais en 1708, le génial concepteur du « Pré carré » n’est plus de ce monde depuis déjà un an. Le maréchal de Louis-François de Boufflers (1644-1711) arrive le 28 Juillet à Lille ; il compte bien défendre la ville, verrou de sécurité sur la route de Paris. Il demande urgemment des renforts et des munitions.
Le siège commença le 12 août 1708 sous la direction du Prince Eugène de Savoie et du duc de Malborough pour les forces alliées. Partie depuis la ville de Menin, cette armée regroupait des contingents anglais et hollandais, des Danois, ainsi que des troupes du Saint-Empire : des hommes originaires de Hanovre, du Palatinat et de la Hesse.
Pour entamer ce siège, les assiégeants font partir depuis Bruxelles le 6 août, un convoi de 6 000 chariots de munitions de guerre, 94 pièces de canon et 60 mortiers du premier calibre. Les alliés jettent d’abord leur dévolu sur Marquette et son abbaye. Le siège de Lille est très vite complet et les forces très supérieures en nombre ne donnent que peu d’espoir aux assiégés. Les premiers jours du siège seront relativement calme, chacun renforçant ses positions de défense. Les lillois donnent une aide à la garnison de Boufflers, abattent les arbres en masse pour fortifier une ville qui dans le même temps se voit entourer par un impressionnant parc d’artillerie compris de la Deûle à la Marque : 120 pièces de canon, 40 mortiers et 20 obusiers.
Cette assurance dans la victoire causa d’ailleurs la capture par surprise du Comte de Bettendorf, général des troupes Palatines. Trop heureux de pouvoir enseigner à son neveu son savoir militaire en utilisant comme modèle les fortifications lilloises, il fut capturé par des soldats français déguisés en paysans.
Boufflers tenta des sorties, souvent héroïques, mais rien ne semblait pouvoir percer les lignes ennemies qui progressivement depuis le secteur de La Madeleine avancent inexorablement. Le 27 août un premier bombardement matinal et massif ébranle fortement le moral jusque-là excellent des habitants. Plusieurs brèches apparaissent dans les fortifications de la ville. On imagine aisément le saccage de la ville, l’odeur de la mort, les flammes et les cris des blessés.
Comme pour le camp retranché d’Alésia, un siège à cette période s’appuie sur une première ligne face au site assiégé (ligne de contrevallation) empêchant toute sortie de l’armée assiégée. Derrière elle, l’armée assiégeante établie une seconde ligne dite de circonvallation, afin de parer à toute attaque ennemie de secours. Mais Malborough encore plus prudent fit établir un retranchement en amont avec de la cavalerie et de l’infanterie qui se déployaient de Wattignies à Péronne sur « un front, dans la longueur d’une lieue, avait un fossé large de douze pieds et profonds de six. L’artillerie était placée sur les retranchements dans les endroits plus convenables. Ce fut par de telles mesures de Marlborough, profitant des lenteurs d’un ennemi irrésolu et divisé, vint à bout de mettre sa position à l’abri de toute attaque »1. Le hameau actuel d’Ennetières étant à l’époque un fort retranchement dans ce dispositif.
Ce recul par rapport à la ville de Lille nous donne l’occasion de nous intéresser au sort des civils dans la campagne environnante. Un document contemporain relate cet aspect des choses. Extrait des archives de l’Hôpital Notre-Dame de Seclin en 1910 par le chanoine Théodore Leuridan2, ce texte fut écrit par le maître de cette institution : Maximilien Prévost. Elu à cette fonction en 1690, il la remplira jusqu’à son décès à Seclin le 28 Décembre 1715, à l’âge de 74 ans.
Prévost annonce dès son introduction que ce siège « a presque ruiné cet hospital », plus loin on signale même qu’il « n’est point arrivé un désastre semblable à cet hospital, soit par rapport aux pertes, soit à l’égard de la longueur du temps ». Dans cette narration très détaillée, au jour le jour, on se rend vite compte des ravages considérable d’une armée sur les villes sur les stocks de nourriture, les récoltes. La brutalité des armées en campagne fait fi de l’endroit où elle se trouve, ainsi les destructions et pillages occasionnées sont autant l’œuvre des forces alliées ennemies que des troupes françaises.
La communauté des Sœurs Augustines est divisée lors de cette période, sur un total de seize sœurs plus deux novices, six iront rejoindre un refuge situé rue d’Amiens à Lille. Prévost signale le courage, l’abnégation de celles qui restèrent dans ce « travail extraordinaire pour fournir à boire et à manger à une infinité de personnes (…) à l’égard des blessés et malades qu’il fallut veiller toutes les nuicts pendant plus de deux mois de suite ; et comme leur nombre estoit petit, le travail estoit plus grand et fréquent et accablant ».
Les premiers temps sont assez calmes, Prévost mentionne les premiers combat dans le « maretz (…) où il y eut un soldat allemand blessé à la mort et mourut à l’hospital un peu après y estre transporté. La seconde fois ce fut vers le chasteau, où il y eut beaucoup de chevaux pris et quatre ou cincq allemans tuez et quelques françois blessez, dont l’un mourut à l’hospital et l’autre s’est en allé presque guéry »3.
A partir du mois de Septembre, les réquisitions et pillages vont se succéder quasiment quotidiennement. « Ledit cinquiesme jour de septembre 1708, après midy, il vint un officier Holandois, disant d’avoir ordre de prendre du fourrage, avec environ 50 ou 60 hommes, qu’on tâcha de contenter en livrant du foin à chacun, et l’on donna à boire et à manger audit officier et à deux de ses compagnons ». Le lendemain, « quantité d’officiers de toute sorte nations (…) ont visité tous nos greniers et pris toute l’avoisne qu’il y avoit, tant la nostre que celle qui y estoit refugiée ; il n’y ont pas laissé un seul grain (…) ». Le surlendemain, dès sept heures du matin, une foule de fourrageurs entre par le jardin de la cense. Les dégats sont considérables : « ils ont jetté à bas toutes les couvertures (…), pris tout le foin qu’il y avait sur les chenels, pillé toutes les granges (…), emporté toutes les moyes, pillé la chambre de maitre Jacques, fait couler dix tonneaux d’huile, tué cochons, veaux, poullets, cannards, dindons (…) Il n’est pas resté une seule jarbe ; emportés tous les ustensiles de la bassecour, pelles, hoyaux, ferrailles, la corde et seaux du puits (…) ». Et pour chacun « il falloit donner incessamment à manger et à boire vin et bierre ; et cela dura jusques après sept heures du soir ».
Curieusement on apprend que le bétail n’a pas trop souffert car dès le lendemain « tous (les) moutons, vaches et chevaux sont allez vers le pays d’Artois, pour y trouver à manger, n’estant resté aucune chose pour leur nourriture, tout ayant esté pris comme dit est et la couverture des estables et des escuries toute destruite et ruinée ».
Plus tard, une « quantité de monde commandé de l’armée du siège avec des haches et chariots vinrent couper toutes les branches de nos haloteries environ maison et dans nos bois, avec menace du lieutenant qui les commandoit que si on ne luy donnoit à boire et à manger, il tailleroit tout en pièce ».
Un mois quasiment que le siège est entamé, les troupes royales françaises ont longtemps tergiversé afin de porter secours au général de Boufflers. Enfin, elles font leur approche mais cela n'est pas sans graves conséquences sur la ville.
"La nuit du 11e et 12e (mois de Septembre), presque toute la ville de Seclin fut bruslée par un feu mis à dessin par les Hollandois. il y eut quatre vingt deux maisons bruslées à deux fois (...) Il serait impossible d'exprimer les désordres, larcins et foules des peuples qu'on fist plusieurs jours de suite (...)." Et les mêmes scènes de pillages se succédèrent mais maintenant ce sont des troupes françaises qui "coupoient du bois à l'entour de la maison pour se baracquer ; (qui) prenoient nos poissons dans les fossez ; faisoient manger l'herbe du pré à la burie par leurs chevaux ; les lavendières faisoient la lessive dans nos fossez, séchoient leur linge au feu de notre bois ; ce n'estoit que tentes et baraques à la basse cour, aux jardins du couvent et de la cense, avec plus de vingt huict ou trente feux, sans cuisine de ces bons messieurs. Et à force de prendre bois ils sont trouvé environ quatre ou cincq charrées de foin qu'on avoit tâché de sauver en le couvrant de naffetas et furent enfin découvertes et qui ce qui avoit échappé le pillage des Hollandois n'a pu éviter celui des François. Le canon des Hollandois se faisoit entendre de temps à autre et il y avoit de fréquentes escarmouches".
Alors que Louis de France, duc Bourgogne et le duc de Vendôme tentent au péril de leurs vies d'approcher des positions de Malbrought, on raconte que le 13 Septembre, le "ministre Chamillard (...) faisoit ses observations sans péril du haut du clocher de Seclin"4.
Ce prudent secrétaire d'état à la Guerre se verra plus tard appliquer ces quelques mots, bien désobligeants : "Un héros au billard,
Un zéro dans le ministère."
Pendant ce temps, les troupes françaises avaient un besoin frénétique en bois pour le chauffage ou la construction de protections militaires. Là encore, la désolation est de mise à la lecture du témoignage toujours précis de Maitre Prévost. "Nostre belle drève du chemin du bois, pareillement celle de la ruyelle Comtesse, fut toute ruinée, et les hormeaux à l'entour de nos terres et sur les patures et ailleurs tous coupez ; dans notre petit bois de beaux petits chesnes coupez comme à plaisir, car ils les ont laissé sur la place ; les arbres fruitiers dans les patures et ceux plantez le long du chemin des vaches ; enfin partout misérablement coupez, aucuns à pied, d'autres à hauteur d'hommes. C'estoit un pitié de voir notre bois si mal traité pour trois jours que les françois furent ici campez, et tout dégradez ; les alliez jusques à ce temps cy n'y avoient presque point touchez".
Les troupes françaises ne restèrent que peu de temps à Seclin, soumises qu'elles étaient aux bombardements et escarmouches de Malbrought. Pendant ce temps, minutieusement l'art de la prise d'une ville se mettait en place face aux fortifications lilloises. La ville allait-elle rester ainsi seule, abandonnée, sans appui ?
Dans l'histoire du siège de 1708, un épisode appelé "l'affaire des poudres" a tout d'un incroyable pied de nez aux assiégeants. Le 28 Septembre, un convoi mené par le chevalier de Luxembourg quitte Douai. Cette troupe de 2 500 chevaux, 100 carabiniers, la compagnie des sauveteurs du Roi, deux compagnies de grenadiers et une centaine d'hommes met le cap sur... Lille. Son but : approvisionner en armes et en poudre les assiégés. Chaque cavalier avait à la croupe de sa monture soixante livres de poudre dans un sac, d'autres portaient pierres à fusils et autres armes à feu.
On l'a vu à cette époque l'art du siège se basait sur deux lignes établies tout autour de l'objectif. Comment alors une telle troupe aurait-elle la moindre chance de passer ? Heureusement, l'armée royale de Louis XIV, comme toutes les armées de l'époque, était constituée en partie de "mercenaires", d'hommes volontaires ou non, souvent étrangers, se battant pour le plus offrant. Ainsi, un officier d'origine hollandaise, eut l'idée astucieuse de se présenter en premier à la barrière de Fâches vers minuit. Il parvint à endormir la méfiance de ses compatriotes. Les gardes ennemis auraient laissé passer la totalité du convoi si un Français n'avait pas interpellé ses hommes par un "Serre ! Serre !" dévoilant ainsi le pot aux roses. On imagine alors la longue et interminable charge des français au travers des tentes ennemies, n'ayant pour seule chance de poursuivre à tombereau ouvert vers Lille. Chevauchée bien dangereuse quand on se balade avec de la poudre en quantité à la croupe de son cheval ! 80 chevaux et une soixantaine d'hommes y restèrent, mais une partie réussit l'incroyable exploit : rentrer avec armes et poudres à Lille par la Porte Notre-Dame5.
Pourtant ce fait d'arme ne pouvait en rien affaiblir les armées alliées qui poursuivirent inexorablement leurs attaques sur les fortifications qui bien mal en point ne pouvaient plus au terme du 22 Octobre que laisser la ville grande ouverte aux flots ennemies. Le maréchal de Boufflers décida de s'enfermer dans la citadelle avec les 4500 hommes qui lui restait. Les alliées avaient eux dénombré une perte en morts et blessés de 11 946 hommes. Le Prince Eugène fit entrer 25 bataillons dirigés par le duc de Holsteinbeck.
Prévost raconte qu'il se rend à Lille dès le 26 Octobre et y retrouve les Soeurs en "bonne santé". Il décrit une population qui a "mangé de la chair de chevaux et la vendu publiquement" mais qui surtout est partagée vis à vis de Boufflers. Certains, se sentant abandonnés, lui reprochent les stocks faits au détriment des habitants ou des bâtiments, comme d'avoir pris le plomb des toits de l'Hospice Comtesse. D'autres savent que le pire serait à venir en cas de défaite de Louis XIV et de changement à nouveau de pouvoir. Lille n'est partie intégrante du Royaume de France que depuis 41 ans. Boufflers résista tant bien que mal, mais dû finalement capituler. La "Reine des citadelles" se rendit le 8 Décembre 1708.
La prise de Gand dès le 30 Décembre 1708 entraina une perte du Hainaut et de la Flandre par Louis XIV qui pourtant refusa de s'avouer vaincu et poursuivit cette guerre. A la bataille de Malplaquet, le 11 Septembre 1709, les Français sont à nouveau battus, mais réussissent tout de même à inverser le rapport de force et empêchent l'invasion.
En 1712, la bataille de Denain fut remportée par surprise par le maréchal de Villars face au Prince Eugène. Au cours de celle-ci tomba une certaine Madeleine Caulier6. Fille d'aubergiste, née à Avelin, elle fut l'une des héroïnes du siège de Lille de 1708. Elle se porta volontaire pour porter, sous couvert d'aller voir son père à Ronchin, un message de Chamillart pour Boufflers. Elle réussi à franchir par deux fois les lignes ennemies, puis s'enrôlant dans un régiment de dragons, elle tomba au cours de cette bataille qui par cette ultime victoire française permit d'envisager enfin une paix après tant d'années de guerres et de misères.
La désolation de l'après siège de 1708 laissa place à un hiver dès plus rigoureux. Il est souvent ainsi dans l'histoire que la folie guerrière des hommes coïncide avec des hivers "si rigoureux et violent, avec grande quantité de neige, que les bleds furent la plus part gelez et très grand danger de rien avoir ; les soucrions et colsats entièrements perdus ; les arbres fruitiers et les vignes ont mouru de plusieurs côtés ; ledit hyver, à quatre ou cinq reprises, a duré jusqu'au troisiesme jour du mois de mars de ladite année 1709, et puis a encore recommencé avec beaucoup de rigueur et duré jusques au 15e dudit mois".
Recherche et rédaction : Maxime CALIS - Guide-Conférencier - Office de Tourisme de Seclin & Environs
Sources et notes :
1. Histoire de John Churchill – Tome Second – Paris – 1808.
2. Le siège de Lille en 1708. Relation inédite publiée par le Chanoine TH. Leuridan – Lille – 1910.
3. Le « maretz » était compris à l’arrière de l’Hôpital et menait jusqu’à la Deûle, cette zone fut asséchée au 19e siècle pour permettre le percement du canal. Le « chasteau » est certainement celui connu sous le nom « des Boulets », aujourd’hui disparu, il se trouvait alors à la sortie de la ville, non loin de l’Hôpital, sur la Route dite d’Arras.
4. id. note n°1 - p. 396.
5. épisode raconté p.328 à 330 par BRUN, Elie - Les Sept Sièges de Lille - 1838. Prévost décrit la vision de ces hommes héroïques dans son document. Il avait justement envoyé au camp ennemi le chapelain Monnet pour obtenir quelques garanties sur l'Hôpital et le retour des bêtes envoyées vers l'Artois. A son retour, il lui décrivit certainement cette "quantité d'hommes et chevaux coupez en diverses pièces, les uns par le milieu du corps, les austres la teste coupée, auncuns fendus en deux, les autres sans bras et sans cuisses".
6. D'où le nom de la station de métro sur la ligne 1 entre les stations Gare Lille Flandres et Fives.
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