Dans son Bulletin de 1863, la Commission Historique du Nord mentionne comme seul « homme remarquable » de Seclin : « Jean-Marie Louis Coupé, chanoine de Seclin, conservateur des manuscrits à la bibliothèque du Roi vers 1785 ». Il est étonnant de le voir mentionner dans l’histoire de notre ville car il ne dû pas y passer beaucoup de temps, voir n’y a jamais mis les pieds ! En effet, un document d’archive en date du 20 Mars 1785 écrit par De Breteuil à Versailles précise que « les fonctions que le sieur abbé Coupé remplit présentement à la bibliothèque du roi ne lui permettent pas de se rendre à votre église ». Le chanoine Coupé devait cependant se rappeler de Seclin quand lui tombait tout cru « les fruits de son canonicat » car le même document mentionne que l’on ne devait malgré son absence ne pas l’en priver, « à l’exception des distributions manuelles qui se font au Chœur ». L’Abbé Coupé touchait un revenu net de 5 172 livres 10 sols1 qui est tout même un cumul de ses autres charges : prieur de St Pierre de Limours, diocèse de Paris, bénéficier de la chapelle Notre Dame fondée dans le village de la Bretonnière, diocèse de Luçon, et jouissant d'une pension sur l'archevêché d'Auch2.
Outre cette part fort limitée à l’histoire seclinoise, Coupé a laissé une trace littéraire non négligeable lors de son passage terrestre long de quatre-vingt-six années.
Né à Péronne, le 18 Octobre 1732 dans une « famille honnête de Picardie » comme on le mentionne dans son discours nécrologique, manière d’oublier que notre homme eut un frère cadet : Jacques, né en 1737, qui de prêtre passera dans le camp de la Révolution, jusqu’à devenir député Jacobin ! Bref, une famille aux destins écartelés dans les soubresauts de l’Histoire.
Pour l’instant, notre Jean-Marie-Louis Coupé fait ses études dans la capitale et se tournera vers la prêtrise. Il n’a que 23 ans lorsqu’il devient professeur de rhétorique en 1757. Il fait ses preuves au Collège de Navarre (Paris) où rentre l’année suivante un élève prometteur mais turbulent d’un point de vue religieux : Condorcet. On imagine peu qu’ils rentrèrent en connivence car notre chanoine Coupé a très jeune un appui de poids dans la personne de l'avocat-général Antoine-Louis Séguier. Celui-ci est un homme réactionnaire, il a ce mot pour désigner les philosophes des Lumières : « secte impie et audacieuse ».
C’est ensuite comme précepteur qu’il poursuit sa vie à partir de 1765. Il s’attache à l’éducation du jeune Prince de Vaudémont, Joseph de Lorraine-Brionne (1759 - 1812) avec qui, les voyages formant la jeunesse, il parcoure l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. Il est admis dans les salons et cercles littéraires, fréquente les grandes universités. Durant ces années naitra une longue et durable amitié avec la Comtesse de Brionne.
On lui connait dans les années 1770 ses premiers livres. Des œuvres en relation avec la littérature comme ce double volume d’Essai de traductions de quelques épîtres et autres poésies latines de Michel de l’Hôpital en 1772 et 1778 ou sa collaboration à la Bibliothèque Universelle des Romans et à l’Histoire universelle des Théâtres. On lui connait aussi textes rigoristes comme un Dictionnaire de Mœurs (1773) et son Manuel de Morale qui dédicace au Comte d’Artois, le futur Charles X.
En 1778, l’Abbé Coupé est nommé « Censeur-Royal », c’est ce indique toutes les notices biographiques. Pourtant il ne devait exercer que comme « secrétaire » car son nom est étonnement absent des registres du très officiel Almanach Royal. Notons qu’à cette époque, on relève une recrudescence du nombre de censeurs nommés par le pouvoir. On relève 118 noms en 1774, ils sont 189 en 17863.
En 1785, c’est donc en homme de l’ombre, mais visiblement compétent, qu’il va profiter de l’exclusion de l’Abbé Gevigney, accusé et impliqué dans une sombre histoire de vols. Coupé devient le nouveau « Garde des titres et généalogie à la Bibliothèque Royale »4. Il n’a en y entrant aucun passé dans la généalogie. Il s’inspire directement d’un modèle établi par l’un de ses prédécesseurs, l’abbé de La Cour, il classe des monceaux de parchemins (60 tonnes) issus de la Chambre des comptes de Paris. Achetés à Beaumarchais en 1784, ces documents forment le cœur de la série des « Pièces originales » au sein du Cabinet des Titres de l’actuel Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.
Jean-Marie Coupé est un homme respectueux des serments et un soutien à la cause royale. Comme d’autres il est effrayé par les réformes issues des premiers mois de la Révolution française, mais choisit de rester auprès du Roi au lieu de fuir comme tant d’autres à l’étranger, à Coblence ou à Tournai comme son ami Séguier. Les archives royales jusque-là dispersées en divers dépôts sont centralisées. Le 12 Septembre 1970, l’Assemblée Constituante crée les Archives Nationales. Au moment où l’on somme l’abbé Coupé de remettre les clefs de ces Archives à la Nation souveraine, celui-ci répond : « Messieurs, cette clef, c’est du Roi que je l’ai reçue, je ne la rendrai qu’au Roi ! ». Une rébellion qui bien sûr ne pouvait que venir l’inquiéter aux moments terribles de 1793-1794.
L’Abbé Coupé tremble plus pour sa vieille amie, la Comtesse de Brionne qui décide de fuir la France au moment où la tête de Louis XVI tombe dans le panier. Lors de l’exil vers la cour de Vienne, des coups de feu sont tirés sur leur voiture à Chaumont. L’Abbé l’accompagne jusqu’à la frontière Suisse, en lui laissant sa fortune personnelle, près de 25 000 livres en or, mais fait le choix de rester en France. Il se cache dans les bois de Fontainebleau et pour passer le temps écrit un poème latin sur les malheurs de la France.
Après Thermidor seront publiés le Théâtre de Sénèque, les Opuscules d’Homère et surtout de 1795 à 1801, les vingt volumes de ses Soirées Littéraires. Une série qui avait comme ambition d’être des « mélanges de traductions nouvelles des plus beaux morceaux de l’Antiquité, de pièces instructives et amusantes, tant françaises qu’étrangères, qui sont tombées dans l’oubli ; de productions, soit en vers, soit en prose, qui paraissent pour la première fois en public, des anecdotes sur les auteurs et sur leurs écrits… ».
L’Abbé Coupé ne semble pas être allé « à la soupe » durant l’Empire et s’attire donc dès 1814 le remerciement de fidélité de Louis XVIII qui le rétablit comme « Censeur Royal ». Toujours actif malgré l’âge, curieux des lettres au milieu de ses archives, mémoires, c’est dans son bureau de l’Hôtel de la princesse Vaudémont, rue Saint Lazare que la mort l’emporte le 10 Mai 1818.
Maxime CALIS - Guide-Conférencier - Office de Tourisme Seclin - Janvier 2017
Notes :
1. 1. Ce revenu est loin d’être une peccadille. En 1789, le salaire journalier est entre 25 à 30 sous. En 1781, Maximim Isnard estime qu’annuellement le minimum pour vivre était d’au moins 100 livres pour une famille de 4 personnes, achetant les céréales les moins chères. Un cheval valait au XVIIIe siècle de 100 à 150 livres / une vache 15 Livres. Le principe de base était 1 Livre = 20 sols = 240 deniers. Ce principe vaut toujours en Angleterre avec la Livre Sterling, le shilling et les pence.
2. 2. Source : http://j.delattre.pagesperso-orange.fr/clergedecanat02.html
3. 3. Source : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2005-1-page-207.htm
4. 4. Almanach Royal de 1785 – Bibliothèque du Roi, p. 537.
Sources documentaires :
Bibliothèque Nationale de France – Les gardes du département des Titres et généalogies et les employés attachés au Cabinet des titres 1720 à 1883 – 2005 – article Coupé, p. 5
Nouvelle Biographie Générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours – Tome 12 – MM. Firmin-Didot Frères, Paris – 1854-1866.
M. L. CAILLE – Discours prononcé sur la tombe de M. l’Abbé Coupé, lors de ses obsèques.
LEURIDAN, Théodore - La Collégiale Saint Piat de Seclin, addition à la Gallia Christiana - Revue de l'histoire de France de l'Eglise, tome 2, n°7 - 1911
Histoire ecclésiastique du Diocèse de Cambrai - Lille, 1849 - article église Collégiale de Seclin, p. 104-105.
Divers
CERF, Madeleine – La Censure Royale à la fin du 18e siècle, 1967
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