Dans ce premier numéro des inédits de la Grande Guerre sur Seclin, nous vous proposons une thématique sur Noël. Nous tenons à remercier M. Jean Stéphane HENNION, un Seclinois passionné par cette période de l'Histoire. Collectionneur, Jean Stéphane aurait pu choisir de garder jalousement ses petits trésors, mais il a fait le choix en partenariat exclusif avec l’Office de Tourisme de vous livrer ses pièces souvent uniques et inédites. De nouvelles pages de l’histoire Seclinoise vont s’ajouter à celles que vous connaissez. Vous comprendrez que pour des raisons de propriétés© et de raretés, nous avons griffé ces documents, mais le principal tient dans la matière que nous dévoilerons au fur et à mesure des mois à venir.
Un Noël à la « Belle Epoque »
L’imagerie des fêtes de fin d’année nous semble fixée, immuable entre l'actuel grand retour de la crèche (jusque dans les espaces laïcs), le traditionnel arbre de Noël qui trouve, on le verra plus loin son origine en Allemagne tout comme d'ailleurs la couronne de l’Avent ! Quant au fameux Père Noël, il a fait du chemin depuis le rêve d'un certain Thomas Nast en 1863. Sa physionomie, ses codes couleurs et comportementaux furent peu à peu transformés notamment avec l'énorme coup de pouce publicitaire d'une célèbre boisson gazeuse à partir de 1931. Bref, si nous avions cette chance de remonter le temps pour nous retrouver durant les jours précédents Noël à Seclin en 1913, par exemple, nous serions peut être étonnés par les us et coutumes d’alors.
De nos jours, Noël est devenu « la fête des enfants » plus que la célébration chrétienne de la naissance de Jésus1 qui elle-même ne date que du 4e siècle en remplacement et substitution du Sol Invictus du 25 Décembre instauré par l’Empereur Aurélien au 3e siècle, qui lui-même l’avait transposé du culte de Mithra venu de Perse. Comme quoi l’adage du savant Lavoisier se confirme : « Dans la nature rien ne se crée, tout se transforme ».
En 1913, Noël était avant tout une célébration religieuse avec la messe de minuit. Avant de s’y rendre, la famille allumait la buche de Noël2 dans l’âtre de la cheminée ; ainsi peu d’espoir d’y voir descendre le Père Noël. Pourtant point de pleurs au matin de la Nativité car depuis le 6 Décembre, les enfants avaient déjà reçu un cadeau… ou pas ! Nos voisins Belges le prouvent encore de nos jours, chez eux la Saint Nicolas y est bien plus vivace. L’évêque de Myre a bien une grande barbe neigeuse mais chez lui point de traineau avec des rênes, mais l’âne mené à la carotte, et dans son ombre le redouté Père Fouettard et son martinet. Dans la nuit, l’enfant rêvait et espérait :
« Saint Nicolas, patrons des écoliers
Apportez-mi du chuque dins mes
sorlets
Nous serons sag’s comm’ des petits moutons
Nous irons à l’école apprendre nos leçons ».
Le jour de Noël, les enfants trouvaient non des jouets mais la queniolle, ou quiniolle, queugnet, queugnot, cuignot plus connu de nos jours sous le nom de coquille, soit un pain gâteau de forme oblongue qui en Belgique a la forme d’un bonhomme (cougnou).
Personne ne peut imaginer que dans un an, ces instants de paix, la famille heureuse et rassemblée ne seront plus qu'un souvenir. Le mari et le fils sont partis depuis Août 1914, ils devaient revenir quelques semaines plus tard, en tout cas c’était certain, sains et saufs, victorieux pour la Noël. Par la fenêtre, l’enfant voit patrouiller dans les rues des hommes aux casques à pointes.
SECLIN 1915 et 1917 : Les Noëls
allemands
Quatre ans de guerre ce sont des millions de morts, de la haine des uns envers les autres attisés par les nationalismes et les marchands de canons3, mais dans cet enfer il y eut les fraternisations de la Noël 1914 et même (plus rares) l'année suivante. Tout le monde a dans l'esprit le très beau film Joyeux Noël de Christian Carion sorti en 2005. Preuve s’il en fallait que le bellicisme4 n’a qu’un temps que les hommes, quelques soit l’uniforme ou leur religion5, n’en demeurent pas moins des hommes. C’est ce que révèleront plus loin les documents de Jean Stéphane pour les soldats allemands ou cette lettre d’un soldat français du 296e R.I, François Guilhem, écrite au fond d’une froide tranchée à Vermelles à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau de Seclin.
« Chère Augustine, je me rappellerai longtemps de cette nuit de Noël : par un clair de lune comme en plein jour, une gelée à pierre fendre, nous sommes allés vers les 10 heures du soir porter des poutres dans les tranchées ; quel n’a pas été notre étonnement d’entendre les Boches chanter des cantiques dans leurs tranchées ; les Français dans les leurs, puis les Boches ont chanté leur hymne national et ont poussé des hourrah ; les Français ont répondu par le Chant du départ ; tous ces chants poussés par des milliers d’hommes en pleine campagne avaient quelque chose de féerique. (…) » 6
Ce « poilu » est certainement très étonné par la présence de nombreux sapins illuminés. Cette décoration commençait à se répandre en France, notamment depuis l’exil des Alsaciens et Lorrains après 1871, mais l’uniformisation culturelle n’ayant pas le même impact que de nos jours, le sapin restait avant tout une coutume germanique. Au cours du mois de Décembre 1914, les Seclinois occupés virent leur ville se couvrir de sapins, de guirlandes jusque dans la Collégiale ou dans les chambrées de l'Hospice, devenu Lazarett.
Les Noëls de guerre de nos concitoyens occupés sont, à ce jour, inconnus, n’ayant pas de témoignages directs. On imagine sans mal qu'ils furent bien tristes.
A contrario, nous avons grâce aux archives de Jean Stéphane une idée des
réjouissances allemandes avec des photographies et plus émouvant, l'intimité des sentiments avec un recueil unique et inédit écrit et mis en page par le soldat Ernst Kopp (15e Régiment d'Infanterie en garnison à Minden en 1914)7.
Les documents que nous reproduisons ici sont extraits d'une sorte de scrapbooking, assemblage de cartes postales, photographies uniques, textes, poèmes vraisemblablement mis en ordre au terme de la guerre par Ernst. En le feuilletant, on y constate le soin, l'attention et toute la culture de cet homme au regard doux, bien loin des clichés du "boche" assassin des affiches de propagande. Un mari attentionné envers son épouse car Noël est pour eux bien plus qu'une célébration religieuse, il est le jour anniversaire de leur amour.
"1915, Seclin, près de Lille
Pensées de Noël
Avoir à ses côtés, une si jolie Germaine aux cheveux blonds, cela représente la plus grande fierté pour un homme allemand.
Cela a été une des raisons me remplissant de bonheur, de t'avoir déclaré jadis, mon amour infini, lors de notre première soirée de Noël commune devant la famille assemblée.
Cela a été la première fois que nous avons découvert nos doux sentiments réciproques.
Lors des fêtes de Noël suivantes, j'ai joué le Père Noël. Ensuite au plaisir de tous, je suis devenu ton fidèle époux. L'année dernière, je suis redevenu Père Noël mais loin de toi sous mon propre sapin de Noël.
Au début, nous n'avons pas du tout cru que cette horrible guerre pourrait gâter la fête de Noël 1915. Malheureusement le devoir m'oblige cette année encore à rester en pays ennemi.
Mais cependant je me réjouis tout de même de pouvoir passe cette belle fête de Noël auprès de mes camarades.
Mais dans toutes mes pensées, c'est avec toi que je suis, mon Trésor !
Joyeux Noël !
"Meilleurs vœux de Noël, champ de bataille, 1915
A la place des mots, échanger des baisers, ce que nous avions l'habitude de faire, jadis lors de la fête. Mon Amour, aujourd'hui avec cette lettre, je te souhaite, comme rêve à venir, tout ce qu'il y a de plus beau au monde. Lis cette lettre sous le sapin de Noël".
Deux années plus tard, la guerre ravage toujours le monde. Depuis 1915, d'innombrables jeunes hommes sont tombés de part et d'autres, tués, déchiquetés, enterrés dans la glaise et la boue de Verdun, de la Somme, à Fromelles...
En cette fin d'année 1917, un homme se raccroche à l'esprit de Noël par de la poésie.
Né le 28 Août 1886 à Hambourg, Ferdinand Crasemann a fait carrière dans l’armée au sein du régiment LIR 78 Landstrum (Infanterie de réserve) du Duché de Brunswick. Il passera 48 mois au sein du service cartographique allemand installé dans les locaux de la brasserie Lepoivre, place Saint Piat.
Noël
Nous ne voulons pas nous faire de cadeaux,
Car nous sommes conscients de la gravité de notre époque.
Le matin du jour de Noël, comme à l’habitude, nous effectuons
Notre travail et nos corvées, consciencieux et prêts à tout.
Nous ne sommes pas ici pour célébrer une fête,
Car notre destin porte un nom : le vaste horizon.
Cependant, la Sainte Soirée fait son apparition,
Le plus cruel des guerriers se laisse attendrir.
Nous redevenons tous des enfants
Dès que les cloches se mettent à sonner8.
Ces cloches de Noël, elles résonnent si profondément en nous,
Jusqu’au fond de notre cœur, là où la patrie dort en paix.
Rendons nous donc ensemble à l’église
Pour écouter le sermon de Noël.
L’âme germanique si noble et si sensible,
Ne se laisse pas dérober une soirée aussi précieuse.
La Sainte Nuit est maintenant notre invitée,
Et chacun de nous garde son souffle et se recueille
Et une fois que vous ressentez la magie de ce moment,
Et que Noël vous a envoûté,
Je vous remets en main silencieusement mon bréviaire de chants
Dans une profonde et sereine attente :
Faites en aussi cadeau à votre prochain,
Pour partager et célébrer cet art de la poésie,
Emanant de ce petit carnet à l’âme profondément allemande ».
Ferdinand Crasemann reviendra chez lui et vivra jusqu’au 20 Septembre 1926. Démobilisé suite au Traité de Versailles, il reste au contact de ses frères d’armes car membre du Stalhem Bund Der Frontsoldaten (association des Anciens combattants). Il occupe des positions clefs comme Directeur exécutif de la Fédération des Citoyens du Brunswick et Conseiller Juridique à l’association du Commerce de détail. Enfin, il fit de la politique au sein du DVP (Deutsche Volkspartei – Parti Populaire allemand) au Parlement de l’Etat du Brunswick.
Nous espérons avoir ouvert chez vous une envie de suivre les prochains épisodes.
Nous évoquerons dans les prochains numéros les personnalités marquantes allemandes qui ont
vécu ou sont passés à Seclin entre 1914 et 1918. Ces articles donneront un éclairage novateur sur une ville, qui bien que située à l'arrière du front, n'en était pas moins importante et
stratégique pour les forces militaires allemandes.
Rédaction et mise en place graphique : Maxime CALIS – Guide-Conférencier, Office de Tourisme Seclin & Environs© – Décembre 2016
Archives privées : M. Jean Stéphane Hennion – toutes les reproductions ou copies (même partielles) des documents en sa propriété© doivent faire l’objet d’une demande préalable auprès de l’Office de Tourisme.
Traduction de l'allemand vers le français : M. Philippe QUESNAY, Nordstedt -Allemagne
Notes :
1. 1. A l’origine, il est certain que les chrétiens n’avaient comme fête religieuse que Pâques. Les textes chrétiens ne font nulle mention du jour de la naissance de Jésus, même si la période de l’hiver semble correspondre.
2. 2. Notre pâtisserie de fin de repas tire son origine d'un morceau de bois décoré. Cette bûche était souvent de grande taille et d’un bois fort dur car celle-ci devait se consumer deux, trois jours voir même jusqu’à l’Epiphanie.
3. 3. On attribue à Paul Valéry (1871-1945) cet aphorisme : "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas ».
4. 4. Notons que l’armée française a refusé au réalisateur le prêt de terrains militaires pour filmer les scènes du film (Notes de production du film). Attitude d’autant plus incompréhensible que nos alliés Britanniques ont reconnu ces faits dès 1914-1915.
5. 5..Le Pape Benoit XV demanda aux belligérants de respecter la Trêve de Noël. Yves le Maner et Alain Jacques mentionne dans leur ouvrage l’Enfer et le Chaos que le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne acceptèrent, mais pas la France ni la Russie.
7. Ernst Kopp est soldat au Regiment Printz Friedrich Der Niderland 2. Westfaliches. Mobilisé en 1915, il arrive à Seclin où il réceptionne son barda et perfectionne sa formation militaire. Son baptême du feu à lieu à Illies. En tout cas, il est de nouveau à Seclin pour Noël 1915, convalescent.
8. 8. Ferdinand Crasemann oublie ici que depuis le 15 Mai 1917 les plus grosses cloches de la Collégiale furent descendues et fondues pour pallier au manque de métaux pour l’armement allemand. Mais quatre des neuf cloches originelles échappèrent aux réquisitions. Deux sont toujours exposées dans le Chœur, une autre se trouve au-dessus de la porte de la Sacristie. La dernière a été donnée au Musée de l’Art Campanaire d’Apolda, ville allemande jumelée avec Seclin.
Bibliographie :
PIERRARD, Pierre – La vie quotidienne dans le Nord au XIXe siècle – Hachette, 1976.
Centre d’études régionales du Pas de Calais - Les traditions populaires dans le Nord de la France : Les fêtes – De la Toussaint à la Chandeleur – Tome 1 – Arras, 1945
Société Historique de Seclin – Seclin 1914-1918 : Histoire d’une occupation – 2007.
NIVET, Philippe – La France occupée 1914-1918 - Armand Colin, Paris - 2011
Internet :
site RTBF - Nicolas Mignon "Le sapin de Noël est-il "boche" ?
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olivier gorichon (lundi, 26 décembre 2016 23:23)
merci de m'envoyer les prochaines infos sur les évènements de 14 18 à seclin et uniquement ceux là SVP
Maxime CALIS, guide-conférencier (mardi, 27 décembre 2016 09:29)
Bonjour, Monsieur
Nous vous remercions pour l'intérêt porté à l'histoire 14-18 de Seclin. Hormis les articles dont celui sur Noël qui était le premier, nous n'avons pas pour l'instant d'actualité sur cette thématique. D'autres articles suivront dans les mois à venir. N'hésitez pas à vous inscrire à notre newsletter pour ne rien manquer.
Nous vous fêtons de bonnes fêtes.
L'Office de Tourisme - M. Calis
DEMANGE J.C. (mardi, 27 octobre 2020 16:31)
Quelle est cette histoire vraie ou fausse de soldats qui ont été autorisés à regagner leur famille en uniforme pour Noël...??? et repartir au front ensuite....