Lors des repas, on sort les vieux albums photos de la famille. « Dit mamie, c’est qui la belle dame sur la photo ? » Et là, le blanc ! Plus personne ne sait qui est cette inconnue, l’image éternellement fixée sur le papier argentique mais dont le nom est tombée dans les limbes de l’Histoire. Parfois, on a jugé bon d’inscrire une date, un lieu, voir même les noms au verso. Fouiller dans les archives et retrouver le nom d’un visage, c’est ce qui arrive en travaillant sur le tableau « La leçon de pharmacie » présentant la Communauté des Augustines de Seclin en 1815.
Ce grand tableau (invisible pour le public, il est exposé dans la salle dite de la Communauté), est l'une des pièces majeures de la présence des Soeurs Augustines durant quasiment huit siècles à Seclin. Elles soignèrent les malades et accueillirent les plus démunis. Ce document, que la tradition situe en 1815, montre la Communauté dans son ensemble (7 religieuses et 1 novice) en train de recevoir "une leçon de pharmacie", soudain un pauvre ou un mendiant se présente, interrompant ainsi la scène.
Pour mieux cerner les personnages, rien de mieux que de se plonger dans la source principale de l’Histoire de Seclin, celle du chanoine Théodore Leuridan. Un tome complet de 1905 est consacré à l’Hôpital Notre-Dame. Le chapitre 23 concerne la période post révolutionnaire, contemporaine de l'oeuvre.
Après avoir dirigée l’institution hospitalière sans discontinuer depuis la fondation en 1246, la Communauté de dix-sept Sœurs quitte l’Hôpital au plus fort de la tourmente révolutionnaire. A leur retour autour de 1800, elles ne sont plus que huit. Elles officient et soignent au sein de l’Hospice Civil de Seclin d’abord en habit séculier, puis de nouveau sous l’habit religieux grâce à un décret impérial du 22 Novembre 1810. Leuridan donne le nom de ces huit Augustines, mais certaines ne peuvent être celles du tableau (si 1815 est actée comme date plausible) car Louise Mortelecque est décédée en 1806, Ernestine Chieus en 1807, Monique Panien en 1810 et Amélie de Tourmignies en 1813.
Nous devons avouer que le travail a été mâché grâce au peintre (anonyme) qui a inscrit en dessous des portraits (sur un vêtement, un linge) des huit Sœurs Augustines, leurs noms, mais certains sont effacés ou absents. La date également manque, mais la tradition prête de longue date que celui-ci fut peint en 1815. C’est un bon début pour commencer.
Deux noms sont clairement visibles. A la gauche de la Sœur Prieure, lui tenant la main, on voit : Roger Augustine. A la droite de la Prieure, c’est Monique Leroy. Deux Augustines identifiées !
De cette Communauté originelle subsiste donc deux Sœurs dont l’identité est certaine.
A gauche : Marie-Augustine ROGER, née le 1er Juin 1743 qui sera Augustine durant 51 années et décédera à l’âge de 78 ans, le 10 Juillet 1821. Elle est la plus âgée dans les registres et sa physionomie ne laisse pas de doute sur son âge avancé à la date du tableau, 72 ans.
Le personnage central est bien sûr la Dame Prieure, la Supérieure en train de faire « la leçon de pharmacie ». Julie-Augustine-Joseph TEDREL, dite Sœur Marie-Benoîte. Née le 13 Novembre 1761 à Courrières, elle fait profession à Seclin le 21 Février 1781. Au retour de la Communauté, elle sera élue Supérieure en 1813 et le restera jusqu’à sa mort le 1er janvier 1833. C’est donc bien elle qui tient la fiole dans sa main droite, l’autre est posée sur un livre.
A droite, l’inscription désigne Marie-Barbe Scholastique-Leroy, dite Sœur Marie-Monique. Née le 8 septembre 1787 à Arras, elle est une toute jeune Sœur Augustine car elle a passé sa profession le 2 Mai 1814. On comprend ainsi son grand besoin de parfaire ses connaissances médicales auprès de Sœur Marie Benoite. Ses traits plutôt jeunes correspondent à l’âge de l’état-civil, si nous sommes en 1815, elle a moins de 30 ans.
A la gauche de la novice (habillée toute de blanc), il s’agit de Angélique Billoir, dite Sœur Marie Rose (v. 1762 / morte le 20 mai 1818).
La piste était tellement bien balisée qu’il devait bien arriver un hic !
L’une des Augustine est absente le jour où elles prirent la pause pour le portrait. C’est du moins ce que disait Sœur Marie, l’une des trois dernières Augustines de Seclin avant leur départ en 2013. L’absente fut remplacée par un mannequin, ce qui explique le profil plutôt disgracieux ! Il s’agit de la Sœur à l’extrême gauche du tableau.
Juste après "le mannequin", le peintre a figuré une certaine Louise Véré. Le peintre a ajouté son âge 26 ans, mais cette religieuse reste une énigme car elle n’apparait pas dans le Leuridan ! N’a-t-elle fait qu’un court passage à Seclin ? A-t-elle prise la place de "la Sœur mannequin" qui serait récemment décédée ? C’est l'hypothèse émise dans le livre de M. Thorez1. Pourquoi pas, mais Leuridan ne cite pas de décès en 1815, du moins dans les obits. L’état-civil de 1814 et 1815 reste lui aussi vide de décès dans la Communauté. Par contre dans les obits, le chanoine historien mentionne deux Augustines absentes de la figuration et dont les faibles notices biographiques correspondent à l’époque : Marie-Eugénie Moutier (v. 1765 / morte le 23 Juin 1823) et Marguerite Desgardins (v. 1775 / 23 Février 1826).
Pour clore l’enquête, il restait à trouver l'identité de la novice et de la dernière Augustine.
Cette dernière n’a pas l’air non plus très âgé sur le tableau, elle fixe le spectateur alors qu’elle roule des pansements. Les registres des dates de profession nous donnent deux noms et deux dates très proches dans le temps. Si l’hypothèse de 1815 se tient, alors cette huile sur toile aurait été réalisée dans le courant du mois de Septembre 1815. La jeune Augustine serait Joséphine-Floretine MOREL, dite Sœur-Marie Elisabeth. Native de Bucquoy, le 14 Août 1797, elle vient tout juste de passer sa profession le 11 Septembre 1815. Elle connaitra une destinée toute particulière à l’Hôpital en succédant à Sœur-Marie Benoite en 1833. Elle décèdera le 7 mai 1866. Cette piste semble renforcée par le fait que l’on peut encore plus ou moins lire MOREL sur le pansement !
Qui est donc la novice ?
Il s’agit de Victoire Despretz, la future Sœur Marie-Claire qui ne deviendra Augustine que le 25 Septembre 1815, d’où son habillement de novice à la date où le peintre les a fixé pour l’éternité. Elle naquit à Comines, le 4 février 1792.
Si l'artiste a bien choisi de représenter la Communauté a un instant T, alors nous pouvons penser que cette scène fut immortalisée entre le 12 et le 24 Septembre 1815 !
Vous me direz qu’il manque un personnage, le seul homme de la scène, le malade à l’extrême droite de la scène. Là encore, le déchiffrage du tableau permet de mettre un nom : Dureau. Le billet est lisible : « Je prie Dame Prieure de vouloir recevoir… Dureau. Signé : Claeys ». Henri-Joseph Claeys était maire en 1815 depuis deux ans et le restera jusqu’en 18302.
La forme orthographique Dureau ne trouve aucune occurrence dans l’état-civil de Seclin. Par contre, on retrouve un Maximilien Joseph Durot. Carvinois d’origine, ce Durot pourrait être notre homme (il n’y a pas foule d’homonymes dans cette période) et un faisceau de faits semble concorder pour lui 3. Cet homme décèdera à l’Hospice le 11 Septembre 1824, l’état-civil de ce jour mentionne qu’il était « mendiant » et âgé 92 ans. Une situation qui expliquerait le physique de cet homme visiblement très âgé, au visage couvert de pustules et portant un pantalon rapiécé.
Rédaction et mise en page : Maxime CALIS - Guide-Conférencier, Office de
Tourisme de Seclin & Environs - Décembre 2016.
Clichés du tableau : Thierry Lecoeur pour l'Office de Tourisme en 2012.
Notes :
1. THOREZ, Jean-Paul – Seclin’solite 2 : anecdotes et curiosités seclinoises – Editions Fleur d’Espoir – 2012.
2. Son mandat est souvent porté jusqu’en 1844 mais c’est oublier qu’au moment du changement de régime en 1830, les maires furent révoqués.
Le poste de maire fut alors confié à Hyppolite Eustache Edmond HEROGUER (1771-1850) au moins jusqu’en 1841 car après le poste est pris par Collette.
3. La chose mériterait une étude des Archives de l’Hôpital confiées récemment aux ADN, car la série Q du récolement établi en 1996 comporte la pièce Q 2 Inv. Sup : 1820-1846 : L’ensemble des mouvements journaliers de la population de l’Hospice. 312 états de minutes.
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