Chapitre 9 - L'industrie Seclinoise : Du courage à la désolation

De tout temps, les armées ont pillé, réquisitionné tout ce qui pouvait être utile à leur ravitaillement, au paiement de la solde de la troupe ou fournir un appui militaire. La Grande Guerre va changer en partie cette «tradition». L’anéantissement de l’économie rivale devient la norme. Au milieu de cette guerre dans la guerre, les ouvriers et les ouvrières.

Le descriptif de Seclin à la veille de la guerre a dressé le portrait d’une ville ouvrière où travaillent des milliers d’hommes et de femmes dans les secteurs phares de l’industrie nordiste d’alors, et plus précisément au sein d’une activité textile où le savoir-faire local est depuis des décennies reconnu et apprécié.

 

Comme toutes les armées du monde, l’armée allemande dès les premiers jours va puiser dans les stocks de lin, de coton, puis détruire au fil des mois les fleurons de l’industrie seclinoise d’avant 1914. La population ouvrière prise au piège de la ligne de front va devoir encaisser plusieurs traumatismes. Bien que les conditions de travail et salariales d’avant-guerre ne soient pas satisfaisantes, l’ouvrier est viscéralement attaché à son outil de travail et à la qualité de ce qui sort de son usine. C’est aussi sous cet angle qu’il faut regarder les événements qui vont se dérouler pendant ces longs mois au sein du corps ouvrier de Seclin. Le sentiment national ne fera qu’exacerber la situation.

 

Au corps défendant des Allemands, il faut rappeler qu’afin d’entamer l’effort de guerre du 2e Reich, un blocus quasi total de l’Allemagne va vite réduire les civils allemands à des conditions de vie peu enviables. Par voie de conséquence, les autorités allemandes vont utiliser les potentialités des territoires occupés comme dérivatifs à leurs problèmes. La prospérité du Nord va tel un eldorado être une proie de choix dans cette guerre dans la guerre.

 

La grève des ouvrières de 1915

 

Les militaires vont user de la force afin d’utiliser les bras de tous les hommes présents dans la ville. De 17 à 50 ans, ils sont recensés et il va sans dire que ce travail se faisait sous la menace permanente de terribles sanctions : coups, amendes, emprisonnement, déportation vers l’Allemagne. Les hommes risquent à tout instant de finir au sein des ZAB, dit «Bataillon de travailleurs volontaires» où les conditions de vie et de travail sont effroyables. Là encore, le chapitre consacré à cet épisode dans « Invasion 14 » décrit dans les moindres détails le sort de ces malheureux.

 

En connaissance de cause, on comprend mieux le courage et l’abnégation des ouvrières qui refusèrent de travailler pour l’armée en juin 1915. Après l’utilisation pour la première fois d’armes chimiques sur le front d’Ypres en avril 1915, la nécessité de s’en protéger devient vitale.
La Kommandantur va ordonner qu’une centaine de femmes soient affectées à la confection de masques. Rapidement conscientes de leur travail, elles s’y refusent. Aux amendes et à l’emprisonnement durant deux jours, certaines mettront longtemps un point d’honneur à ne pas travailler. Ainsi Mademoiselle Mangez restera seize semaines en prison. Elle fut la dernière et tenace résistante à la fabrication des fameux masques.
Ce mouvement de grève Seclinois est contemporain d’autres faits similaires dans l’arrondissement de Lille, car là aussi le travail sert à la poursuite du conflit. Face à une demande de confection de sacs de protection à destination des tranchées, de nombreuses ouvrières arrêtent le travail. Le maire de Lille s’oppose ouvertement aux ordres lui intimant l’ordre d’appeler à la reprise du travail. Belle ironie quand on sait que M. Charles Delessale était avant-guerre un riche filateur, président du Comité Linier.

 

Face à ces actes de résistance, la manœuvre suivante sera celle d’une tentative délibérée de réduire à néant le tissu industriel du Nord de la France. Et personne ne s’en cache à lire le Kölnische Zeitung en date du 10 avril 1916 : «Aux idiotes criailleries de guerre économique après la guerre, nous pourrions opposer dès maintenant la guerre d’anéantissement économique dans les pays occupés (...) à un point tel que pour des générations et peut être des siècles ils ne puissent entrer en concurrence avec notre industrie».

 

Destruction systématique de l’industrie

 

Au début de 1916, de nombreux experts allemands accompagnés de militaires sont envoyés avec comme mission de recenser le potentiel industriel en leur possession. Un fameux document de 534 pages portant le nom de « Die Industrie im besetzten Frankreich » est une pièce à conviction évidente ; le démantèlement puis la destruction des usines en territoire occupé fut largement planifiée.

 

Le témoignage sous serment en Novembre 1918 de Damas Morez, ouvrier à la distillerie Delaune donne une vision concrète du résultat de cette politique. «En 1915 et 1916 les matières premières ont été réquisitionnées, et, en 1917, l’établissement a été saccagé. Dans les magasins à alcool, tous les bacs ont été enlevés et chargés sur wagons, au cours de l’été dernier ; dans la distillerie, les appareils à rectifier, qui étaient en cuivre, ont été emportés. Les allemands ont également pris tous les filtres presses, trois appareils sécheurs et une machine à vapeur. De la raffinerie de sels, il ne subsiste que les murs ; les chaudières sont restées intactes, mais la tuyauterie en a été enlevée. En résumé, l’usine a été à peu près vidée. Elle est à remonter complétement. La filature Duriez, la sucrerie Desmazières ont été détruites par les allemands au moment de leur retraite. L’usine Collette a été traitée comme la nôtre » (1).

 

1. Rapports et procès verbaux d’Enquête de la Commission institué en vue de constater les actes commis par l’ennemi - Tome X-XI-XII - Paris - 1919

 

Maxime CALIS - Guide-conférencier et Animateur Tourisme - OT Seclin & Environs - Décembre 2014

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