A quelques mois du déclenchement du conflit, les nations européennes organisent des réseaux d’espionnage. En mars 1910, un boxeur lillois, originaire de Belgique, est arrêté. Son crime : des prises de vues photographiques des ouvrages de Seclin et d’Houplin. Pourtant, on a plus à faire à un Pied Nickelé affublée d’une Mata Hari.
Cette affaire est relayée dans des journaux nationaux, tels que La Lanterne ou le Journal des Débats Politiques et Littéraires mais aussi par des éditions régionales, comme celui de Nantes, le XIXe siècle. Retraçons ici le fil de cette histoire.
L’accusé se nomme Jacques Van De Waele. Originaire de la région de Bruxelles, il est fils de bonne famille. Ses parents ont un commerce de sable et font travailler plusieurs ouvriers.
Homme avide de sports, il pratique brillamment la course à pied et remporte un concours en réalisant 16 kilomètres 255 en une heure en 1909. Il s’essaye aussi à la natation, à la lutte et aux poids, mais n’aime pas le football. Mais c’est la boxe qu’il apprécie le plus. Dans le civil, il exerce un temps la profession de maçon. On le décrit comme «très élancé avec une figure peu sympathique, au front bas, sur lequel pendait une mèche de cheveux blonds».
S’installant dans la métropole lilloise, il souhaite, malgré de piètres performances dans la boxe, ouvrir un cours de boxe. D’abord à la Madeleine, dans un estaminet nommé «La Poire d’Or», puis au 22 rue du Vieux-Marché aux Moutons à Lille, encore au sein d’un cabaret.
Malgré le nom de «Wonderland Lillois», celui qui prend le nom de Jack Tony n’attire à lui que quelques jeunes gens sans fortune.
Il n’arrive d’ailleurs pas percer et subit en janvier 1910 une humiliante défaite face à
boxeur parisien lors d’un combat à l’Hippodrome lillois. C’est un homme sans le sou, déprimé, loin de briller sur le ring comme son contemporain, le nordiste Georges Carpentier
(1).
Début mars 1910, notre boxeur combat avec un allemand. Après le combat, ils se retrouvent en tête à tête autour d’un copieux repas à la brasserie l’Universelle. Le champagne aidant, l’étranger lui glisse les avantages en nature d’une collaboration avec l’Agence allemande d’espionnage de Bruxelles : 125 francs par mois, plus 25 francs par photographie des extérieurs des fort de Seclin et d’Houplin, voir même 100 en plus pour des vues intérieures. Voilà notre boxeur reconverti dans l’espionnage militaire.
Sa carrière d’espion sera très courte ; dès le 23 Mars 1910, il est arrêté à la gare de Lille, par le Commissaire Faudot de la Brigade Mobile. Jacques Van de Waele passe alors très rapidement aux aveux. Il lui est d’ailleurs impossible de nier les faits car il portait sur lui les photographies illicites prises aux forts de Seclin et d’Houplin. Son récit donne aux enquêteurs, l’étendue des manœuvres de l’espionnage allemand.
1. Photographier tous les ouvrages fortifiés des environs de Lille. En faire parvenir à Bruxelles toutes les pellicules qui seraient développées là-bas.
2. Se préoccuper de savoir si les ouvrages fortifiés de Lille étaient reliés téléphoniquement entre eux. Dans quelles conditions ? Comment des fils pouvaient-ils être installés ?
3. Savoir si l’organisation défensive pouvait permettre au moment d’un siège, l’inondation des fossés et des terrains avoisinants les portes.
Les services allemands n’hésitèrent pas à créer un «service d’espionnes», considéré comme «extrêmement important». A savoir : des prostituées devant recueillir la tête sur l’oreiller, les maladroites confidences d’officiers en possession de documents stratégiques. L’amie de Jacques Van de Waele fut elle aussi approchée. Aux ventes de ses charmes, on lui promit de l’argent et des toilettes. Mais elle refusa, tout en sachant les actes « séditieux » de son compagnon.
Mais faut-il voir en cet homme, un traître ? Rappelons qu’il est de nationalité belge et qu’il avouera lui-même que son «travail» ne devait pas être d’une grande importance. «J’ai photographié de fort d’Houplin à une distance de 300 mètres, et sur la grand route. (...) Je ne connaissais qu’imparfaitement le maniement de l’appareil. On m’avait dit de tourner un petit bouton jusqu’au moment où apparaitrait un numéro 1, puis de faire pivoter d’un quart de service un crochet (...) Je ne connaissais rien de plus en photographie.»
L’affaire fut jugée très rapidement. D’abord condamné le 7 Mai à un an de prison et 100 francs d’amende. Rejugé en appel, le 1er juin à Douai, sa peine est aggravée : 18 mois et 500 francs d’amende.
1. Georges
Carpentier (1894-1974), né à Liévin, ce fils de mineur sera le premier champion du monde français en 1920. Servant dans l’aviation en 1914, il sera décoré de la Croix de
Guerre.
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